Reportage : Coup de colère des agriculteurs après la fumée toxique
Dans la nuit du 11 au 12 septembre 2023, des fuites de gaz qui ont émané des usines des ICS ont causé des dégâts pour les agriculteurs des villages environnants. Ces derniers, accompagnés de jeunes de Mboro et Darou Khoudoss sont sortis contester le mercredi 25 octobre. Leurs intérêts économiques menacés, ces agriculteurs jugent la cohabitation avec les ICS « insupportable ».
Les routes qui mènent vers l’usine bloquées, des pneus brûlés ainsi qu’un bus appartenant aux ICS, les habitants des villages riverains ont usé de tous les moyens pour exprimer leur colère. Il a fallu l’intervention des gendarmes pour calmer les tensions, ces derniers ont interpellé 11 personnes parmi les manifestants.
Des vidéos largement partagées sur les réseaux sociaux montrent des gens qui saccagent tout sur leur passage. Le bureau des agents de sécurité à l’entrée de l’usine est totalement calciné. Les traces de fumée étaient encore visibles, avant la rénovation apportée quelques jours après.
Armés de gourdins et de pierres, cette manifestation surprenante avait pour but de «demander réparation». Les manifestants ont bloqué l’entrée principale de la mine et exigent la prise en charge de leurs préoccupations. Les terres des cultivateurs sont expropriées, des produits toxiques déversés dans certaines zones.
Une cohabitation « insupportable »
«Les échappées de gaz des ICS ont beaucoup détruit ici», lance Ibrahima Ndiaye. La vingtaine dépassée, Ibrahima allie ses travaux champêtres avec le travail de journalier aux ICS. «L’implantation des ICS ne nous arrange pas vraiment», dit-il, jugeant que la cohabitation avec les ICS est «insupportable».
Les habitants des villages aux alentours de l’usine de Darou Khoudoss sont habitués aux séries de fuites d’acide sulfurique. La particularité de ces récentes échappées de gaz est qu’elles ont presque détruit toutes les récoltes. Plusieurs plantations sont détruites par les effets nocifs des substances dégagées.
Les propriétaires de champs étaient très remontés contre les industries chimiques du Sénégal. Ce qui a conduit à leur descente pour envahir les rues.
Selon la plateforme Mboro SOS, les conséquences de cette fuite sont encore visibles dans plusieurs champs qui sont «recouverts d’un tapis herbacé asséché et impropre à l’alimentation du bétail, des feuilles mortes et des plantes calcinées» dans plusieurs champs dans les localités environnantes. Parmi ces localités, on compte Darou Khoudoss, Tanim, Keur Magor, Mbaye Mbaye, entre autres.
La plateforme Mboro SOS a longtemps alertés que «plusieurs champs ont vu leurs plantations être détruites par les effets nocifs de ce produit, et leurs pauvres propriétaires, qui tirent un bilan déficitaire presque à chaque saison, ne savent où donner de la tête.»
Une promesse non tenue
Après ces échappées de gaz de mi-septembre, les dirigeants de l’ICS s’étaient engagés à dédommager les habitants impactés. Malgré les multiples demandes de réparation des agriculteurs et des communautés impactées par cette pollution industrielle, les ICS n’ont pas pris de mesures urgentes.
Les populations ont un droit constitutionnel à un environnement sain, qui est indispensable pour une bonne marche de leurs activités économiques.Le retard noté par l’entreprise pour procéder aux dédommagements a suscité la colère des agriculteurs.
Les échappées de gaz des ICS constituent une menace réelle pour l’agriculture qui est la principale activité dans cette zone. En effet, la zone des Niayes fournit 60% de la production maraîchère nationale et 80% des exportations horticoles du Sénégal. Ces menaces peuvent surtout engendrer la destruction d’emplois du secteur primaire.
Avec ces événements, des organisations comme de la société civile comme Natural Justice et OXFAM ont demandé à ICS «d’indemniser dans les meilleurs délais les communautés impactées et de faire preuve de responsabilité en limitant les impacts négatifs de leur activité sur l’environnement, la santé et le bien-être des populations locales».
Elles ont également appelé les «pouvoirs publics à garantir le respect du droit des citoyens à un environnement sain prévu par la constitution du Sénégal».
Les autorités locales n’y peuvent pas grand chose !
Un responsable local interrogé sur la question confirme les faits. «Aucune étude d’impact environnemental ne nous a été présentée à notre arrivée», regrette-t-il pour évoquer «l’incapacité» de l’équipe municipale à prendre des mesures idoines dans ce sens. L’équipe municipale qui dirige la commune de Darou Khoudoss où se trouve l’usine responsable de ces fuites de gaz est installée depuis 2014.
Il existe des mécanismes définis par le Code minier de 2016 pour l’indemnisation et la compensation des personnes affectées. Selon l’article 93 du Code minier du Sénégal, les exploitants miniers doivent supporter toutes les charges relevant de l’application des dispositions sur l’occupation des terres. L’occupation des terres donne droit aux propriétaires ou aux occupants du sol à une juste indemnisation pour tout préjudice matériel causé.
Les paysans et propriétaires de terres ne pouvaient plus attendre.
L’agriculture, la grande perdante
Depuis le début de l’exploitation du phosphate dans les sites de Darou Khoudoss, les agriculteurs n’ont cessé de se déplacer pour permettre l’extraction des mines. L’ouverture des carrières à toujours pousser les agriculteurs à effectuer de longues distances pour trouver des terres cultivables. Malgré les systèmes d’indemnisation prévus lors de ces “déplacements économiques”, nombreux d’entre eux se lancent à nouveau à l’agriculture quand ils sont déplacés. Mais la poursuite de leurs activités agricoles est menacée par les fuites de gaz qui affectent les cultures et dégradent l’environnement.
ICS est un très grand producteur d’engrais phosphatés, on parle souvent du plus grand producteur d’engrais phosphatés en Afrique, même si c’est difficile à prouver. Mais les agriculteurs de la localité ne voient pas cet engrais. Ils s’organisent en coopérative pour avoir accès aux semences avec la subvention de l’Etat. L’accès à l’engrais est posé problème surtout à cause des prix. En 2021, la tonne d’urée coûtait 330.000 FCFA alors qu’en 2022, le prix est passé à 750.000 F CFA.
Selon l’Initiative pour la Transparence dans les Industries Extractives, ITIE, «le Sénégal a importé 118.209 tonnes d’engrais majoritairement chimiques en 2018; alors que la production des ICS est de loin supérieure à la consommation apparente».
Pourtant, la zone des Niayes est un maillon essentiel pour la sécurité alimentaire du Sénégal. Une enquête de l’ANSD effectuée en 2015 a montré que cette zone produisait 80 pour cent de la production horticole.
Actuellement, malgré l’urbanisation croissante qui affecte la zone des Niayes, sa contribution dans la production agricole reste déterminante. Les fuites de gaz émanant des usines des ICS peuvent considérablement influer sur les rendements mais diminuent également les revenus des agriculteurs locaux.